« Les entrepreneurs aujourd’hui ont pour enjeu de répondre aux transitions sociétales en cours : leurs modèles économiques doivent être adaptés » explique en préambule Philippe Fintoni, directeur de La Ruche de Saint-Nazaire. C’est pour combler ces besoins que le réseau national d’incubateurs La Ruche propose des programmes d’accompagnements ciblés, financés par des acteurs publics et privés. Parmi ces dispositifs, Les Ambitieuses Tech for Good a été spécifiquement pensé pour « accélérer le développement d’entreprises, créées par des femmes, qui mettent la tech ou le numérique au service d’enjeux sociétaux ou environnementaux ».
10 projets accompagnés au niveau national
Plus de 200 dossiers sont attendus pour cette 5e édition, diffusée sous la forme d’un appel à projets national ouvert jusqu’au 27 mars. « Nous sélectionnons des projets de solutions innovantes, en phase de développement ou d’accélération, qui ont déjà eu des premiers retours marchés et semblent aptes à se pérenniser », détaille Philippe Fintoni. Une première phase de sélection permettra à 20 entrepreneures de participer à un bootcamp de deux jours, pendant lesquels elles seront préparées au pitch en vue du jury final. 10 lauréates seront retenues à l’issue de cette ultime étape.
Ateliers collectifs et suivi personnalisé
Durant 9 mois, les heureuses élues vont bénéficier d’un accompagnement à la fois individuel et collectif. Au programme : un suivi personnalisé visant à établir un diagnostic et une feuille de route sur mesure, des ateliers collectifs sur des thèmes comme le modèle économique, la croissance, le management ou la levée de fonds, et l’accompagnement par un mentor, généralement un ou une dirigeante expérimentée du secteur. Les lauréates pourront aussi utiliser des « tickets experts » pour approfondir des questions de communication ou de stratégie de développement commercial. « Notre réseau national nous permet d’accéder à une palette de compétences assez large », commente Philippe Fintoni. Si l’appel à projets est ouvert à tous les secteurs d’activités, « les sujets autour de l’alimentation, de l’économie circulaire et de la santé sont particulièrement attendus ». Une trentaine d’entreprises ont déjà bénéficié du programme depuis sa création.
« Faire évoluer notre modèle vers l’économie sociale et solidaire », MOBIDYS
« L’accompagnement nous a permis de faire évoluer notre modèle vers l’économie sociale et solidaire », témoigne Marion Berthaut, lauréate de la première édition et fondatrice de la startup nantaise Mobidys (développement de technologies basées sur l’intelligence artificielle pour aider les dyslexiques à lire).
« J’étais au départ plutôt réservée face aux initiatives qui stigmatisent l’entrepreneuriat féminin. C’est une discussion avec La Ruche sur le manque de représentations féminines, notamment dans le numérique, qui m’a convaincue. En l’absence de modèles, il est en effet difficile pour les filles de se projeter dans ces fonctions, comme il l’est pour les garçons de s’imaginer être dirigés par des femmes ! C’est avant tout pour casser ce biais cognitif que j’ai décidé de participer. Le programme les Ambitieuses nous a aidés à réfléchir à notre modèle économique et à comprendre qu’il n’était pas incompatible avec l’économie sociale et solidaire. Cela nous a amenés à travailler avec le CRESS et à obtenir le statut d’ESUS (Entreprise solidaire d’utilité sociale). Outre l’affirmation de notre posture sociale, ce statut nous a donné la possibilité d’accéder à des financements spécifiques et de réaliser une levée de fonds avec la participation de France Active. »
« Un programme pour changer de braquet »
« Nous avons apprécié l’ambiance « promo » et la grande bienveillance entre les participantes », souligne Amélie Arcile, lauréate de la première édition, co-fondatrice de l’entreprise solidaire nantaise Benevolt (acteur humain et numérique au service de l’engagement associatif).
« Nous avons participé au programme en 2019 car nous souhaitions travailler notre mesure d’impact et notre posture d’entrepreneures sociales. Les premiers ateliers collectifs ont été très qualitatifs, ils nous ont amenés à travailler notre communication et à sortir de la « cuisine » de départ. À la Ruche de Saint-Nazaire, nous avons apprécié l’ambiance « promo » des ateliers de co-développement, et la grande bienveillance entre les participantes. On est souvent seul quand on est entrepreneur, c’est important d’avoir des espaces pour prendre du recul, réfléchir différemment et rencontrer des personnes qui suivent un parcours similaire. Le programme en lui-même est d’une grande richesse, il nous a permis de changer de braquet, de passer en phase de maturité du projet. C’est via La Ruche que nous avons par la suite rencontré notre premier investisseur. »
BELLVISION : « Les femmes cheffes d’entreprises sont encore trop rares dans le numérique »La 5e édition des Ambitieuses Tech for Good en bref :
– Candidatures jusqu’au 27 mars 2022
– 2 jours de Bootcamp à Paris les 13 et 14 avril 2022
– Jury de sélection le 15 avril 2022
– Programme d’accélération du 18 avril au 31 décembre 2022
– Informations et inscriptions : https://candidature.la-ruche.net/candidater/les-ambitieuses-tech-for-good-5
Nelly Barreau a créé Bell Vision, une entreprise de services numériques, en 1997 à Saint-Nazaire. Le secteur était alors peu investi par les femmes, à plus forte raison en tant que cheffes d’entreprise. Cette situation n’a pas beaucoup évolué, selon la fondatrice nazairienne, par ailleurs très investie sur les enjeux sociétaux liés à son domaine comme le numérique responsable.
Comment vous est venue l’idée de créer votre entreprise dans le numérique ?
Après mes études d’ingénieure en informatique et télécommunications à l’EPF (École Polytechnique Féminine), je souhaitais revenir dans la région. N’ayant pas d’opportunité d’emploi sur la presqu’île, j’ai pris la décision de créer mon entreprise. Les femmes entrepreneures étaient rares à l’époque. Il n’y avait pas non plus d’entrepreneurs dans ma famille, mon père travaillait aux Chantiers de l’Atlantique et ma mère au centre des impôts de Saint-Nazaire. Mon objectif était de créer des sites internet mais le marché à cette époque n’était pas mûr, j’ai donc commencé dans la distribution de matériel et le service informatique, des métiers traditionnellement masculins. En tant que femme, je n’avais pas d’autre choix que d’être à la pointe sur la technique pour être légitime!
Aujourd’hui encore, je constate que les femmes sont peu nombreuses dans le domaine, a fortiori les cheffes d’entreprise. Autant on va trouver beaucoup de femmes dans la communication digitale, les réseaux sociaux, le design, mais sur le développement pur ou l’infrastructure réseaux et système, il n’y en a pas ou peu ! Est-ce un problème de motivation ? D’idées préconçues ? Je ne saurais expliquer les raisons de cette sous-représentation.
Comment les femmes peuvent-elles faire bouger les lignes vers un numérique plus responsable ?
Je pense qu’il s’agit plutôt de sensibilité personnelle. Je vois de nombreux hommes s’emparer du sujet. Pour ma part, je m’y intéresse depuis longtemps. Nous avons commencé par des compensations de notre bilan carbone, avec des actions comme la mise en place de ruches ou la participation à des programmes de reforestation. Ce n’est bien sûr pas suffisant, c’est pourquoi nous développons aujourd’hui d’autres projets davantage liés à notre cœur de métier. Nous allons lancer d’ici deux mois un site dédié à la vente de matériel informatique reconditionné à destination des professionnels et des associations. Je ne supporte plus d’assister au gaspillage massif à l’œuvre depuis des années dans les entreprises. Un poste qui a servi à de la conception assistée par ordinateur peut tout à fait trouver une seconde vie en bureautique. Nous souhaitons limiter le périmètre de vente au niveau local pour limiter notre empreinte environnementale. Si nous pouvons par la même occasion créer de l’emploi, et pourquoi pas dédié aux femmes, le projet n’en aura que plus de sens !
« Nous allons lancer d’ici deux mois un site dédié à la vente de matériel informatique reconditionné à destination des professionnels et des associations. »
J’ai par ailleurs missionné mon équipe sur le développement de sites web « low tech », plus sobres et plus légers. Notre site de vente de matériel reconditionné sera bien sûr développé selon ce modèle. Enfin, une des questions les plus cruciales pour moi reste l’hébergement des données. Quand je vois l’empreinte carbone des data centers, cela me fait bondir ! Je pense qu’il est possible de se rassembler pour créer à plusieurs un data center vertueux. J’aimerais beaucoup terminer ma carrière sur un beau projet de la sorte !
« Il est possible de se rassembler pour créer à plusieurs un data center vertueux. J’aimerais beaucoup terminer ma carrière sur un beau projet de la sorte ! »
Comment voyez-vous votre ville de Saint-Nazaire évoluer ?
Saint-Nazaire a longtemps pâti de son image industrielle, mais c’est devenu une belle ville, agréable à vivre, avec des aménagements de qualité comme le front de mer et des projets ambitieux tels que Ville Port. Le tissu économique, qu’on n’avait tendance à voir qu’à travers le prisme des grandes entreprises, s’est enrichi et diversifié. On y trouve aujourd’hui de belles sociétés de toutes tailles, et le secteur du numérique y occupe une place de choix. Saint-Nazaire ne peut que poursuivre sur cette dynamique !
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