Stéphane GUILLOTIN

Directeur de SOFIRA à Saint-Nazaire

Directeur du groupe SOFIRA à Saint-Nazaire, Stéphane Guillotin n’avait pourtant pas un parcours tout tracé. Après avoir connu l’échec scolaire et plusieurs emplois, il intègre Airbus comme ajusteur et gravit un à un les échelons. En 2013, il décide de prendre les rênes de l’entreprise Rabas à Saint-Nazaire. Douze ans plus tard, le chiffre d’affaires de l’entreprise a été multiplié par dix. Mais ce qui fait surtout sa fierté, c’est que l’entreprise Rabas soit citée comme pionnière en termes de décarbonation industrielle et de transitions sociétales à Saint-Nazaire. Convaincu que « la décarbonation de l’industrie est une question de bon sens et un jeu gagnant-gagnant« , il souhaite aujourd’hui embarquer d’autres entreprises du territoire dans ce processus.

En quoi consiste l’activité du groupe Sofira à Saint-Nazaire ?

Le groupe Sofira exerce dans 3 activités industrielles. L’entreprise « Rabas usinage » qui réalise tous types de pièces de petites, moyennes et grandes séries, l’assemblage mécanique de sous-ensembles, essentiellement pour l’industrie aéronautique ou la construction navale. Nous travaillons donc pour de grands donneurs d’ordre de Saint-Nazaire dont les Chantiers de l’Atlantique, Airbus et Safran. Nous faisons de l’usinage de profilés, qui est une spécialité un peu rare, et avons la plus grosse concentration de machines chiron-pioch au monde. Ensuite, nous avons un autre atelier, plus petit, qui fait l’usinage dans la masse (les tôles). Une 3e activité Rabas Protec concerne le traitement de surfaces qui consiste à peindre les pièces détachées.

Comment avez-vous fait pour mettre l’entreprise sur les rails de la décarbonation ?  

Le premier geste a été, il y a 5 ans, de passer nos véhicules de proximité à l’électrique. On s’est dit, il faut faire le pas, on verra bien ce que ça donne ! Pour notre flotte de camions, la bascule s’est révélée plus compliquée. Par ailleurs, sur le stockage, nous sommes en train de travailler sur tous nos profilés pour les stocker à l’échelle locale.

Avec notre entreprise Rabas Protec, qui fait de la peinture petite et moyenne surface, pour des pièces destinées à l’aéronautique, nous avons travaillé sur le mélange de peintures pour qu’elles soient plus respectueuses de l’environnement. Ce qui n’est pas si simple car les produits sont soumis à des normes. De notre côté, nous sommes prêts à basculer avec des résultats mille fois en dessous du seuil autorisé en France.

Vous êtes allés au-delà des normes de dépollution ?

Une fois lancés, nous avons voulu continuer. Nous avons mis des étages de filtration en plus, même si nous n’étions pas obligés. Le dernier investissement, par exemple, a été au mois de décembre dernier, pour l’achat de nouvelles pompes doseuses, où le produit vient se mélanger dans le tuyau. Résultat, on va économiser 50% de nos déchets, et la qualité est meilleure. Nous allons partager cette démarche avec nos clients dans les semaines à venir.

Chez Rabas, nous faisons chaque année, ce que l’on appelle « la lettre au Père Noël ». Tous les services se présentent et remontent leurs besoins, leurs envies. Les idées ne remontent pas que du comité de direction mais de chacun.

La consommation d’eau semble être un sujet de préoccupation majeur ?  

Toute notre consommation d’eau est régénérée en circuit fermé sur Rabas Protec. Au début, cela a fait l’objet d’un gros investissement. Mais aujourd’hui, nous sommes totalement autonomes sur la gestion de l’eau qui est nettoyée en permanence puis réinjectée. Un autre projet en cours concerne les tribofinitions. Alors que nous utilisions jusqu’à présent de l’eau pour nettoyer les pièces, demain l’objectif est d’utiliser un système permettant d’ébavurer nos pièces sans eau. Cette technique va nous permettre de faire des économies d’eau, mais aussi de bruit et sur la gestion des déchets. C’est aussi un gain de confort pour les salariés qui travaillent à ce process. Moins de bruit, d’eau, de vibrations, d’odeurs, nous sommes 100% gagnants à terme.

Pour savoir où l’on va avec la décarbonation industrielle, il faut traiter les problèmes les uns après les autres, point par point.

Et cette volonté de décarboner, d’où vient-elle ?

A la base, je suis un ancien salarié d ‘Airbus. Nous sommes plusieurs à avoir été « à bonne école », à avoir été formés à cette culture. Après, c’est un travail de chaque jour, qui consiste à se remettre en question en permanence sur le sens de ce que l’on fait. Une entreprise, si elle n’investit pas, elle meurt. Les machines nous permettent aussi des gains de temps et de consommation. Tout va tellement vite dans l’industrie. Pour savoir où l’on va avec la décarbonation industrielle, il faut traiter les problèmes les uns après les autres, point par point.

Derrière cette volonté de décarboner, il y a aussi toujours une recherche d’innovation…

Par principe, l’innovation n’est pas quelque chose qui existe déjà. Il faut inventer, être imaginatif. Et se questionner sur la plus-value en termes de bien-être au travail. Chez Rabas, nous faisons chaque année, ce que l’on appelle « la lettre au Père Noël ». Tous les services se présentent et remontent leurs besoins, leurs envies. Les idées ne remontent pas que du comité de direction mais de chacun. Tout le monde peut s’exprimer. Il faut ensuite gérer les priorités.

Quelles innovations avez-vous mis en place pour faire face au changement climatique

L’aluminium ayant tendance à se dilater sous l’effet de la chaleur, nous avons dû innover pour limiter ce problème. Cette innovation nous a permis de livrer des pièces bonnes prenant en compte la dilatation matière pour les Chantiers de l’Atlantique, pour Airbus et Safran, et nous a permis d’ouvrir de nouveaux marchés comme les satellites belges et le secteur militaire.

Un autre exemple est que, juste avant le Covid, nous avons voulu aller plus loin que vendre un produit, et nous avons proposé des services de dépannage. Avec le Covid, les besoins de réparation ont augmenté et notre chiffre d’affaires sur ce service a été multiplié par 10.

Vous parlez beaucoup du bien-être au travail…

Ce sont des prises de conscience. Au début, cela choque un peu. Mais avec le temps, on se dit, mais oui pourquoi pas ? Quand c’est utile aux salariés et à l’entreprise, c’est du gagnant-gagnant.

Je ne recrute pas sur CV, je regarde la volonté de travailler.

L’égalité professionnelle hommes-femmes semble être un sujet important chez Rabas…

Oui, c’est un principe qui est inhérent à l’entreprise depuis quelques années. C’est devenu naturel. Au départ, nous privilégions la compétence. Si la personne arrive avec ses compétences, que ce soit homme ou femme, ce n’est pas ce qui compte. Il y a 13 ans, lorsque je suis arrivé, il y avait déjà des femmes dans l’atelier, alors que ce n’était pas très répandu. Je ne recrute pas sur CV, je regarde la volonté de travailler. Je viens d’embaucher une restauratrice pour organiser le contrôle de l’entreprise parce qu’elle avait perdu son emploi. C’est un bel exemple de reconversion à plus de 55 ans. C’est peut-être ma meilleure recrue de ces derniers mois, elle arrive avec son expérience et en fait bénéficier tous les collaborateurs.

Quelles sont vos autres actions en faveur de l’emploi sur le territoire ?

Nous organisons des portes ouvertes régulièrement pour permettre notamment aux jeunes, aux lycéens même et aux personnes sans emploi de venir découvrir l’entreprise. Les métiers manuels n’ont pas trop la cote, même si je pense qu’ils vont revenir à la mode. Moi-même, je n’ai pas eu un parcours classique, je n’ai pas été directeur toute ma vie. J’ai été en échec scolaire pendant une période de ma vie, puis j’ai travaillé dans la grande distribution, l’armée, puis comme magasinier, etc. Je suis rentré comme ajusteur chez Airbus, puis je suis passé par tous les postes. Il faut apprendre aux gens qu’il y a toujours une possibilité de saisir la chance qui se présente. C’est pour cette raison que j’ai été parrain de l’E2C.

En ce moment, plusieurs entreprises traversent des difficultés économiques… Comment y remédier ? 

Pendant le Covid, nous avons joué franc jeu avec nos partenaires, même financiers, et c’est ce qui a payé. Je n’ai pas licencié pour éviter que l’on perde en savoir-faire. J’ai organisé du chômage technique sur des périodes concentrée (9 semaines de travail et 3 semaines de chômage). Ce qui a permis de s’occuper de leur famille, de bouger, etc. Nos banques, nos partenaires ont vu que l’on tenait la route. Pendant ce temps, nous avons joué la carte de la diversification. Si bien que quand on est sorti de crise, nous avons gagné des appels d’offres, notamment les satellites. Depuis un an, nous avons même dû recruter 40 personnes. Quand je suis arrivé, l’entreprise réalisait 3,8 millions de chiffre d’affaires. Aujourd’hui, l’entreprise compte 157 personnes et réalise un chiffre d’affaires avoisinant les 30 millions d’euros.

J’ai l’impression d’avoir passé une grande partie de mon temps de directeur à faire de la gestion de crise. Aujourd’hui, j’ai envie de partager cette expérience avec d’autres entreprises. Je rencontre des sous-traitants qui peuvent avoir toutes sortes de problèmes, liés à l’achat d’un ERP, une licence d’ordinateur, d’organisation du personnel, etc. Cela ne coûte rien d’échanger et de trouver des solutions ensemble. Nous réfléchissons à construire un « système de grappes » qui permettraient d’échanger entre nous.